Hebdomadaire Nigérien d'Analyses et d'Informations Générales

 

Ce dernier temps, la lutte contre la corruption et ses corollaires alimentent l’actualité socio-politique du pays avec notamment la rencontre qui a regroupé autour du Président de la République Mohamed Bazoum, plusieurs acteurs concernés dont la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA). A ce sujet, votre hebdomadaire s’est entretenu avec le constitutionaliste et Enseignant chercheur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey Amadou Hassane Boubacar. Dans cet entretien, il décrypte les dispositifs institutionnels actuels, la volonté du Président de la République de lutter contre la corruption, l’indépendance de la justice, l’atteinte des citoyens dans ce combat et les comportements que doivent avoir les hommes politiques. Pour lui, puisque « la mal gouvernance est la source du sous-développement, de l’instabilité politique, il faut aussi que les partis politiques arrivent à se convaincre que seule la lutte contre la mal gouvernance est source de stabilité et de développement. Et qu’ils soient convaincus que chaque militant poursuivi pour quelque travers que ce soit, puisse répondre sans obstruction aucune devant la justice comme tout citoyen ».

L’indépendant plus : Quelle appréciation faites-vous du dispositif judiciaire actuel ?

Dr Amadou Hassane Boubacar : Effectivement comme vous l’avez rappelé, le président de la République Mohamed Bazoum a accordé au-delà de la lutte contre la corruption, une place de choix à la bonne gouvernance, l’un des maillons faibles au Niger. Aujourd’hui, par rapport à la question de la corruption, il y a un édifice institutionnel qui est là, au-delà du dispositif traditionnel, notamment le système judiciaire, qui réprime la corruption en tant qu’infraction pénale. Mais également, il y a une autorité administrative qui est placée au niveau de la Présidence de la République, la Haute Autorité de Lutte Contre la Corruption et les Infractions Assimilées-(HALCIA). Cette autorité mène des investigations dans toutes les structures et services où il y’a des pratiques ou des faits de corruption supposés ou réels qui sont portés à sa connaissance. En tant qu’institution rattachée à la présidence de la République, elle investigue et dresse un rapport au Président de la République.


L’avantage de cette institution qui a été créée par décret No 2011-219/PRN/MJ du 26 juillet 2011 avec missions de prévenir et de lutter contre la corruption et les infractions assimilées. Ce que cinq ans après ses textes ont été revues pour prendre en compte certaines limites dans le cadre du déclenchement de la procédure de détection et de lutte contre la corruption. Donc avec la nouvelle loi 2016-44 du 6 décembre 2016, portant création, missions, attributions, composition, organisation et fonctionnement de la HALCIA, lorsque le Procureur de la république reçoit une copie du rapport de la HALCIA, il est tenu d’engager des procédures pénales. Comme vous le savez, le procureur de la république a l’opportunité de poursuite, lorsque vous portez plainte, il juge de cette opportunité pour ouvrir une enquête ou classer le dossier. Maintenant, lorsqu’il reçoit le rapport de la HALCIA qui incrimine un certain nombre des comportements tendant à relever des pratiques ou infractions assimilées, le Procureur de la république ne peut pas le classer sans suite. Je pense que cela est une avancée par rapport à la volonté politique réelle de lutter contre la corruption.
Malgré que cette loi ait été votée pendant l’ancien régime d’Issoufou Mahamadou, l’opinion publique reste sur sa faim par rapport à un certain nombre des pratiques corruptives. Les citoyens voient au-delà de la corruption, les faits de détournement des deniers publics, l’enrichissement illicite ainsi que d’autres infractions.
Le Président de la République fait preuve de sa volonté réelle d’assoir la bonne gouvernance comme en témoignage la rencontre qu’il a présidé le lundi 20 septembre 2021 avec les structures concernées par la lutte contre la corruption. Il me semble qu’au cours de cette réunion tenue au palais de la présidence de la république, il a été question aussi du rapport de la Cour des Comptes qui épinglait la gestion des services et établissements d’Etat et des comportements au niveau de l’administration qui jurent d’avec l’orthodoxie en matière de gestion administrative.
Le dispositif institutionnel est là, c’est de faire en sorte qu’au niveau de la répression, lorsque les rapports de la HALCIA, de la Cour des Comptes, de l’inspection générale d’État, de l’inspection générale des finances et de tous les corps d’inspections révèlent des manquements qu’on laisse la justice sévir sans ambages. Et que le politique cesse de s’immiscer dans les affaires judiciaires.
A mon avis, le pôle spécialisé en matière économique et financière doit être détaché du tribunal des grandes instances pour être érigé en une juridiction autonome avec toute son organisation dédiée à la répression des atteintes aux biens. Il y a beaucoup des dossiers de malversations qui attendent. A ceux-là s’ajoutent les rapports de la Cour des comptes qui ont épinglé les sociétés d’État et la gestion comptables des partis politiques. Il faut qu’une suite soit donnée à tous ses dossiers et rapports remis au Président de la République. Ce qui peut répondre aux attentes des citoyens. En cela, le Président de la République peut répondre aux aspirations du peuple.


L’indépendant plus : L’arsenal juridique actuel est-il suffisant pour asseoir une bonne gouvernance ?


Dr Amadou Hassane Boubacar : En matière de répression, il n’y a pas mieux que le juge pour réprimer les infractions à la loi pénale. Maintenant pour que le juge réprime les comportements déviants dans la société, notamment les détournements de biens publics, il faut que le juge soit véritablement indépendant. Tout le problème c’est la question de l’indépendance et de l’impartialité du juge. Il ne faut pas que la poursuite soit sélective au niveau de la justice, indépendamment de l’appartenance politique des présumés délinquants.
Aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a une volonté politique au plus haut sommet. Vous vous rappelez, le président de la République dans le cadre des prises de contact avec les couches sociales a eu à recevoir le Syndicat Autonome des Magistrats du Niger (SAMAN). Sans être dans le secret de cet entretien, le Président de la République a certainement eu à rassurer les magistrats de son soutien indéfectible par rapport à leur travail de répression des ceux qui se seraient rendus coupables de détournements des deniers publics.
Je pense que les magistrats seront rassurés de fait que le politique ne s’immiscera plus dans le fonctionnement de la justice tel que la constitution l’a dit à ses articles 111 et 116 que le pouvoir judiciaire est indépendant du pourvoir exécutif et du pouvoir législatif. Lorsqu’il y a cette volonté politique notamment chez le Président de la République qui a fait le serment de respecter et de faire respecter la constitution. Je pense que les magistrats auront les coudées franches pour réprimer les détournements des deniers publics et les faits d’enrichissement illicite.


L’indépendant Plus : Comment les dispositifs institutionnel et juridique, peuvent travailler en synergie pour lutter contre la corruption ?


Dr Amadou Hassane Boubacar : Comme je l’ai dit en amont, la HALCIA ne juge pas. Elle a une mission de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Elle est chargée en rapport avec les autres structures concernées, de concevoir, d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie nationale ainsi que le plan d’actions de lutte contre la corruption et les infractions assimilées
Au titre de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées, la HALCIA est compétente pour mener des enquêtes pour tous les faits de corruption et autres et infractions. Et ensuite, dresser un rapport qu’elle transmet au Président de la République. Une copie de ce rapport est envoyée au procureur de la république qui est tenu d’engager une poursuite judiciaire. Donc, quelque part la HALCIA est une sorte d’antichambre à la justice, puisque le juge va exploiter le rapport transmis au procureur. Il y a d’autres corps d’inspections. Tout à l’heure, je parlais de la Cours des comptes qui est une haute institution en matière de respect des finances publiques, qui dresse un rapport annuel au Président de la République. Je parlais aussi de l’inspection générale d’Etat qui est également rattachée à la présidence de la république, de l’inspection des finances rattachée au ministre des finances, de l’inspection générale de l’administration territoriales etc. Tous ces corps mènent des inspections.
Sur le plan institutionnel, il y a un dispositif susceptible de réprimer la corruption. Reste à faire fonctionner convenablement un tel dispositif, autrement de faire en sorte qu’il n’y est pas d’entrave. Et que le juge puisse instruire et éventuellement juger en toute impartialité.


L’indépendant Plus : Quel rôle peut jouer le politique pour l’assainissement des deniers publics ?


Dr Amadou Hassane Boubacar : L’engagement du politique peut s’apprécier à travers principalement le soutien du Président de la République aux magistrats (rencontre avec le SAMAN). Aussi, en tant que garant du respect de la constitution, il peut aider au respect de la séparation du pouvoir gage de l’indépendance de la justice, consacrée par la constitution en son article 116. Cette volonté c’est aussi de faire en sorte qu’un politique ne soit pas couvert. Par exemple, lorsqu’un ministre de son gouvernement commet une infraction, que le président de la république le met à la disposition de la justice. Que son statut du membre du gouvernement ne fait pas obstacle à la manifestation de la vérité. Le soutien du Président de la république peut être aussi que l’égalité des citoyens devant la justice soit respectée, quel que soit votre statut comme il l’a déjà dit dans son discours d’investiture. Le Président de la République a eu à répéter à plusieurs occasions, son engagement à combattre la corruption, l’enrichissement illicite, la concussion, la mal gouvernance. Puisque la mal gouvernance est la source du sous-développement, de l’instabilité politique, il faut aussi que les partis politiques arrivent à se convaincre que seule la lutte contre la mal gouvernance est source de stabilité et de développement. Et qu’ils soient convaincus que chaque militant poursuivi pour quelque travers que ce soit, puisse répondre sans obstruction aucune devant la justice comme tout citoyen.

 

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